La méditation, bien connue pour ses vertus antistress, pousse peu à peu les portes des entreprises. Doit-on, pour autant, instaurer un droit à la méditation pour tous les salariés ?
Après l’hôpital puis l’école, la méditation se banalise en entreprise. Voilà quinze ans que 1.400 étudiants de MBA suivent chaque année le cours de psychologie positive de Tal Ben Shahar à Harvard. Intel et Google proposent depuis 2008 à leurs employés des stages de « mindfullness » (« méditation de pleine conscience », en français). En 2013, un groupe de luxe a même envoyé les 21 membres de son comité exécutif faire une retraite de quatre jours à sur l’île indonésienne de Java.
Ce mouvement gagne même le Medef. Dans un livre collectif – « 60 idées pour Emmanuel Macron » – le syndicat patronal suggère d’instaurer un droit à la méditation pour tous les salariés. A première vue l’idée est réjouissante, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Solution de bien-être
D’un côté, la vertu des pratiques laïques de méditation n’est plus à démontrer en matière de prévention des risques psycho-sociaux. Selon des études cliniques, la visualisation et la relaxation réduisent de 36 % les tremblements nerveux au repos dus au stress, les pratiques de respiration consciente sont efficaces à partir de dix minutes par jour et certaines méditations activent le cortex préfrontal rendant plus créatif et moins conflictuel.
Contrôle social
D’un autre côté, une telle institutionnalisation présente des inconvénients. La méditation n’est ni une gymnastique ni un hobby, c’est être en conscience du moment présent. Nulle formation n’est requise pour bien méditer. Le « souci de soi », cher aux Stoïciens et à Michel Foucault, est un chemin privé, qui n’a d’autre finalité que sa propre réalisation. Ce n’est ni un prérequis d’efficacité individuelle, ni un instrument de dynamique de groupe.
Dès que l’on médite pour atteindre un état intérieur, celui-ci s’échappe. Quand des organismes promettent aux entreprises d’évaluer leurs collaborateurs sur des compétences comportementales telles que la connaissance de soi ou le facteur bonheur, ils exercent un subtil contrôle social sous couvert de baromètre interne.
Nul ne peut obliger quiconque à méditer ou à prier, même au nom d’un bonheur professionnel pour tous. A fortiori, à trop vouloir encadrer un instrument de liberté individuelle sur le lieu de travail, on risque d’assimiler le développement des ressources humaines à un catalogue du comité d’entreprise.
Ni un droit ni un devoir
Comment répondre aux aspirations nouvelles des salariés, sans instrumentaliser une activité qui ne regarde ni l’employeur ni le médecin du travail, encore moins le législateur ? Primo, sortons d’une définition naïve et un rien moralisatrice d’un bonheur extérieur et continu. Au contraire, la méditation rend attentif à l’alternance entre l’inspir et l’expir, reflet de la dualité dans nos existences entre le plein et le vide, le succès et l’échec, la puissance et la fragilité.
Secundo, rappelons qu’il n’y a pas de remède générique au stress de nos vies nomades, rapides et connectées. Prescrire de la méditation convient moins à certains qu’un tissu dense d’amis, une balade en forêt ou la lecture d’un roman de Yannick Haenel.
Tertio, gardons en mémoire que l’ingrédient essentiel de la motivation professionnelle reste le contenu du travail lui-même davantage que son ambiance. Comme l’atteste le dernier rapport annuel sur le bonheur dans le monde publié par l’ONU, un degré élevé de satisfaction au travail cache parfois un faible engagement des employés par manque de sens, de lien ou d’espoir.
Méditer n’est pas plus un droit qu’un devoir, c’est une présence à soi au coeur de l’agitation du monde. Si l’on veut encadrer efficacement la méditation dans les entreprises, faisons leur confiance pour se fixer cinq critères de bon sens : volontariat, anonymat, non-prosélytisme, réversibilité et désintéressement.
Article écrit par Thierry Chavel, professeur associé à l’université Panthéon-Assas, est l’auteur du livre « La pleine conscience ».
Source de l’article : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/faut-il-institutionnaliser-la-meditation-en-entreprise-133678